Souvent négligées au profit des
symphonies, considérées comme
mineures à l'exception des plus célèbres,
les onze ouvertures de Beethoven sont rarement
vues comme formant un tout cohérent.
Pourtant, leur analyse détaillée
et l'étude des sujets choisis, même
pour les ouvres dites "de circonstance",
peuvent nous en apprendre beaucoup sur l'évolution
du langage et de la forme comme sur le parcours
artistique, intellectuel et humain du compositeur.
Les ouvertures semblent en effet avoir servi
de laboratoire d'essai pour les compositions
futures, la liberté du compositeur étant
d'autant plus grande que la pression et les
attentes du public étaient certainement
moindres que pour la composition d'une symphonie
entière.
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Beethoven en 1804, portrait
par Joseph Willibrord Mähler
Beethoven a remis en cause, comme aucun compositeur
de son temps, la structure et la fonction de
l'ouverture. Inutile, sans doute, de refaire
ici un historique détaillé de
cette forme, mais on peut cependant dire que
Gluck, le premier, a essayé d'établir
un rapport entre l'ouverture et le contenu de
l'ouvre dramatique qu'elle introduit :
"J'ai imaginé que l'ouverture
devait prévenir les spectateurs de l'action
qui est à représenter, et en former,
pour ainsi dire, l'argument", écrit-il
dans sa Dédicace d'Alceste. Ainsi,
l'ouverture d'Iphigénie en Tauride
représente musicalement un orage qui
s'enchaîne sans rupture à la première
scène, où Oreste laisse éclater
sa fureur. Cependant, l'ouverture de Gluck n'est
le plus souvent qu'un court prélude et
c'est Mozart qui parviendra à unir dans
l'ouverture classique l'utilisation d'un modèle
normé, la forme-sonate, à un contenu
dramatique. L'ouverture de Don Giovanni,
par exemple, expose déjà certains
éléments du drame à venir,
théâtralisant la forme-sonate en
donnant une signification dramatique à
l'opposition introduction lente/mouvement rapide.
Il est intéressant de noter, par ailleurs,
que Mozart a doté cette ouverture d'une
fin de concert permettant d'en donner des auditions
hors contexte opératique.
Cherubini, que Beethoven et Haydn considéraient
comme le premier compositeur dramatique d'Europe,
essaie de concilier dans ses opéras les
styles allemands, français et italiens
et ses ouvertures vivement dramatiques renouvellent
les modèles classiques par une orchestration
étoffée, donnant un rôle
nouveau aux clarinettes et trombones, et par
une structure dramatique nouvelle. L'ouverture
de Médée composée
en 1797, dresse ainsi un véritable portrait
psychologique de l'héroïne, où
l'opposition entre éléments lyriques
et dramatiques essaie de rendre dans le moule
symphonique son dilemme intérieur, son
déchirement entre son amour maternel
et sa soif de vengeance.
Sur le plan musical Beethoven hérite
des Classiques une forme, la forme-sonate bien
sûr, à laquelle, après Haydn
l'initiateur et Mozart, il donne son plus grand
développement en se détournant
des stéréotypes. Tout au long
de sa vie et son ouvre, il ne cessera d'ailleurs
de s'interroger sur cette forme, non pour la
faire éclater, comme on le lit trop souvent,
mais pour, au contraire, lui trouver tout à
la fois une cohérence et une signification
nouvelles. Chercher de nouvelles formules, tester
de nouvelles techniques de développement
était pour lui un moyen de faire vivre
et de renouveler cet héritage, non de
le détruire.
Sur le plan dramatique, par contre, l'ouverture
est alors un genre en pleine mutation. L'opéra-comique
français simplifie peu à peu l'ouverture
en pot-pourri, qui deviendra alors une de ses
formes les plus répandues, tandis que
Wagner et Verdi en feront plus tard de simples
préludes. Mais Beethoven, symphoniste
avant tout, conçoit l'ouverture comme
une forme en elle-même, souvent plus signifiante
que la musique qu'elle introduit. C'est le cas
pour Prométhée, les Ruines
d'Athènes ou Egmont, dont
les ouvertures offrent plus de complexité
et d'unité que les musiques de scènes
proprement dites.
Avec le Romantisme disparaît un partage
des genres jusque là strictement observé,
c'est même l'une de ses caractéristiques
les plus notables. Musique et poésie,
musique et peinture, les frontières s'effacent,
la symphonie se voudra bientôt poème
ou portrait. Beethoven est parmi les premiers
à développer ces correspondances
par ce qu'Alfred Einstein appelle le "caractère
littéraire de son inspiration."
On sait que Beethoven concevait parfois un véritable
programme pour ses symphonies, ses carnets d'esquisses
en portent les preuves, et qu'il avait envisagé
déjà de doter la Sixième
symphonie d'un finale chanté. Mais
il ne mettra véritablement ce projet
à exécution que pour sa symphonie
ultime, sans d'ailleurs attribuer de programme
bien concret aux mouvements précédents.
De même avait-il envisagé d'illustrer
un mythe grec dans la Dixième symphonie
(inachevée), dont le finale devait être
une fête à Bacchus. Mais, bien
plus que les symphonies, finalement, les ouvertures
de Beethoven apparaissent comme de la musique
à programme et le choix des sujets,
nullement dû au hasard, éclaire
ses tentatives de retrouver par des procédés
musicaux une équivalence des grands thèmes
littéraires du moment. En effet, croire
que le choix des pièces illustrées
est le fruit de rencontres fortuites avec tel
poète ou dramaturge ou d'un événement
ponctuel, c'est ignorer en quoi ces ouvres s'inscrivent
tout à la fois dans leur époque
littéraire et dans une quête propre
au compositeur. On peut donc considérer
que les ouvertures sont pour lui le champ expérimental
par excellence où il peut tester sans
contrainte ses trouvailles dans le traitement
musical des ouvres littéraires, annonçant
en cela les poèmes symphoniques à
venir.
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