Allegro
Molto Adagio
Allegretto
Finale : Presto
“ Ce n'est pas pour vous ! C'est pour les temps à venir ! ”
Ce quatuor est le deuxième de la série de trois que Beethoven dédia au comte
Razoumovsky qui fut un de ses protecteurs. En son honneur, il multiplia dans ces œuvres les
thèmes russes populaires. Mais elles restent avant tout viennoises, et concentrent en elles tout
l'héritage que Beethoven avait recueilli chez Haydn et Mozart. Ses six premiers quatuors de
l'Opus 18 avaient été pour lui l'occasion d'étudier dans les moindres recoins les compositions de
ses illustres prédecesseurs. Mais l'Opus 59 est celui de l'explosion créatrice, la véritable entrée
dans une terre inconnue où Beethoven allait bientôt s'imposer en maître inaccessible. Son sens
prophétique sur l'immensité de ces réalisations - qui apparaît par exemple dans la phrase citée en
exergue qu'il lança un jour furibond aux membres du Quatuor Schuppanzig qui s'étaient risqués
à dire qu'ils ne comprenaient pas bien un passage - a dû prendre le contre-pied de la critique qui
le voua littéralement au pilori. Le lendemain de la création du 7ème quatuor, la presse viennoise
le traitait de cinglé. Si l'Opus 59n°1 est une provocation par ses dimensions et sa démesure, et
l'Opus 59 n°3 une affirmation triomphante de la volonté qui a raison des plus grands malheurs et
ouvre à l'homme le chemin de la lumière, il appartenait au 8ème quatuor, celui du milieu, d'être
le plus équilibré des trois, une œuvre parfaite et intense.
Le premier mouvement s'ouvre sur deux accords puissants enchaînés sur le premier
thème énoncé dans un dialogue mystérieux avant que de s'exaspérer au premier violon; après
plusieurs redémarrages et un sommet, la phrase se résout finalement dans une transition de
doubles croches à l'alto amenant le deuxième thème en dialogue entre une courte mélodie
interrogative au violoncelle à laquelle répond une affirmation hésitante du premier violon qui
prend finalement une magnifique direction, relayé par l'alto. Après la reprise, un long
développement débuté par l'insistance de plus en plus grande du premier thème, un grand
tourbillon de doubles croches et un fougueux fortissimo ramènent la réexposition, qui se termine
sur une coda mouvementée, scandant finalement le premier thème à l'unisson dans une
affirmation magistrale, avant qu'il ne s'écroule littéralement vers une nuance épuisée qui termine
brièvement le mouvement.
Le sublîme mouvement lent, en tête duquel Beethoven a pris soin d'inscrire "Cette pièce
se traîte avec le plus de délicatesse possible", est une lente cavatine. Après une introduction
fuguée des quatre instruments, commence le thème pointé qui traversera tout le mouvement de
son rythme saccadé, tantôt frémissant, tantôt puissant et sûr de lui. Ce rythme s'épuise enfin dans
quelques magnifiques mesures marquées "mancando" ( à bout de souffle ) sur la partition. Alors,
sur un accord immuable et quasiment religieux du second violon, de l'alto et du violoncelle,
s'élève la longue plainte sereine du premier violon, un des plus grands moments de la musique
de Beethoven, qui semble ne jamais devoir finir. A la suite d'une grande transition ponctuée par
le mouvement saccadé, le compositeur ramène le thème du départ mais cette fois au dessus du
mouvement pointé immuable. Une deuxième édition des épisodes décrit auparavant est
intégralement reprise, mais encore plus intense, amenant finalement quelques mesures
puissantes de valeurs longues qui se résolvent sur une longue et douce descente du premier
violon relayé par l'alto et le violoncelle, qui termine ce mouvement dans un souffle.
Le troisième mouvement est un scherzo lent et court où le thème sautillant du premier
violon court au dessus des contre-temps des autres instruments avant de s'exaspérer à l'alto et au
violoncelle dans un grand crescendo. Il s'enchaîne sur le trio en majeur où le thème russe (qui est
d'ailleurs celui qui sera choisi par Moussorgsky pour le couronnement de Boris Godounov)
alterne aux quatre instruments au dessus de mouvements de triolets. Le scherzo est repris
intégralement, puis le trio, et une dernière fois le scherzo.
Enfin, bondissant avec le thème endiablé du premier violon éclate le rondo finale construit sur un mouvement obstiné croche-noire qui parcourt les quatre instruments, ponctué de
montées implacables des basses et dans sa partie centrale de grands traits de croches. Le refrain
du rondo s'exaspère de plus en plus fort et débouche sur un Piu Presto qui termine d'une manière
haletante le quatuor.
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