Poco Adagio - Allegro -
Adagio ma non troppo -
Presto- Piu presto quasi Prestissimo- Presto- Piu presto quasi Prestissimo- Presto
Allegretto con variazioni- Allegro
Après le coup de tonnerre que représentait l'achèvement des trois quatuors à cordes Op.59,
Beethoven va rester trois longues années sans toucher à cette forme privilégiée. Ce n'est qu'en 1809,
après des mois d'épreuves pénibles (en particulier dûes à l'entrée des troupes de Napoléon dans
Vienne), qu'il commence ce dixième quatuor dédié au Prince Lobkovitz, qui avait déjà été le
dédicataire des six premiers quatuors de l'Opus 18.
Beethoven a alors fait le "tour" de la question: il a appris à connaître à travers les
provocations des quatuors Razoumovski toute la richesse qu'il était en mesure de tirer de cette
formation si dépouillée. Du coup, à partir de la présente partition, chaque quatuor va être un monde
à lui tout seul, monde d'une modernité totale qui en fait l'une des créations les plus puissantes de
l'histoire. Il ne faut donc pas s'étonner de l'incompréhension croissante qui accueillit ces œuvres
prophétiques: excédé par des remarques pas toujours judicieuses, et, il faut le dire, emporté par son
caractère peu commode, le compositeur avait lui même hurlé aux musiciens du quatuor
Schuppanzig qui créaient sa musique : " Bande d'ânes! Ce n'est pas pour vous c'est pour les temps
à venir ! ".
S'ouvrant sur un magnifique Adagio aux couleurs chatoyantes, le quatuor commence dans
une atmosphère de recueillement mystérieux et serein, dans un sotto voce frémissant où seules les
trois dernières mesures apportent une tension qui se fond dans un grand crescendo menant à
l'Allegro. Trois accords joyeux pour un premier thème charmeur et plein d'entrain énoncé par le
premier violon puis l'alto. Et presque sans transition s'élève le second thème formé d'un échange de
pizzicati entre l'alto et le violoncelle puis entre les deux violons. C'est cet échange, et l'usage extensif
des pizzicati que Beethoven fait tout au long de ce mouvement, qui a donné l'idée à un éditeur sans
malice de surnommer ce quatuor "Les Harpes". Les pizzicati s'exaspèrent dans deux violents
accords qui se répètent deux fois et se fondent dans un vigoureux échange de doubles-croches
entre les différents instruments amenant lui même une cadence saccadée de forts accents servant de
transition vers le développement. Celui-ci s'amorce par une exaspération du premier thème au
premier violon et au violoncelle, pendant que les deux autres instruments haussent de plus en plus
la voix jusqu'à un passage franchement violent, véritable métaphore guerrière, qui se calme très
lentement dans un immense decrescendo de plus en plus calme et mystérieux au bout duquel
Beethoven a placé l'une des transitions les plus stupéfiantes de son œuvre: sur des notes tenues du
premier violon, les échanges de pizzicati s'accélèrent et se précipitent, et dans un joyeux fracas
viennent littéralement s'écrouler sur les trois accords qui annoncent la réexposition. Celle-ci
classique et très parallèle à l'exposition, se termine par la cadence saccadée qui plus haut avait servi
d'introduction au développement. Est-ce fini? Ce serait mal le connaître! Au lieu de la fin attendue,
la cadence se calme dans un mystérieux pianissimo relancé par le violoncelle, suivi de quelques
mesures de calme absolu et attentif, virant soudain dans un énorme crescendo de six mesures… Et
alors, une minute miraculeuse… Sous de vigoureux arpèges du premier violon, le thème en pizzicati
s'élève irrésistible et de plus en plus intense, amenant un cantique du second violon et de l'alto qui
se transforme bientôt en un hymne triomphant. Après un court silence, la cadence est ramenée une
dernière fois et une longue série d'arpèges brisés en pizzicati et à l'archet vient conclure le
mouvement.
Le mouvement lent qui suit veut au contraire faire montre de simplicité. Plutôt que la vaste
construction d'ensemble que visait le premier mouvement, on a plutôt affaire ici à une juxtaposition
de couleurs contrastées. La vaste cantilène du premier violon s'élève d'abord dans un climat calme
et recueilli. Le violoncelle inaugure alors une deuxième phase triste et poignante que le thème en
mineur du premier violon énonce comme dans un souffle. Après une vaste transition, la phrase
initiale est ramenée mais dans des couleurs beaucoup plus accentuées où de longs arpèges circulent
entre les instruments. Un troisième thème s'élève ensuite entre le premier violon et le violoncelle
avant de ramener une dernière fois la phrase triste de la deuxième partie qui disparaît dans une
courte coda entrecoupée de silences de plus en plus expressifs.
Quel contraste alors avec la violence qui se déchaîne immédatement dans le scherzo qui suit.
Entrecoupées par de très brutaux accents, les successions de croches fusent sans arrêt entre les
instruments et sont reprises obstinément par un violoncelle menaçant. Sans transition après cette
vision infernale, les cloches d'un Dies Irae se mettent à ponctuer le roulement du puissant
Prestissimo qui suit. Retour du Presto. Retour du Prestissimo. Retour du Presto mais… cette fois
dans une nuance piano où l'orage s'éloigne de plus en plus jusqu'à amener sans transition le dernier
mouvement en forme de variations. Le thème simple et badin sonne alors comme une détente après
tant de précipitation. La première variation espiègle et rustique joue sur des échanges de croches
entre les instruments. La deuxième donne à l'alto son solo de prédilection charmeur et envoûtant.
La troisième est construite sur un échange vigoureux du second violon et du violoncelle ponctué
par leurs comparses. La quatrième frémissante et sensuelle, la cinquième amusante et sans finesses
complètent le tableau. Enfin, la sixième s'établit sur un équilibre bancal entre le rythme ternaire du
violoncelle et binaire des trois autres instruments. Ce rythme ternaire s'impose alors comme une
accélération du mouvement magnifiquement canalisée, accélération menant à quelques mesures d'un
Allegro tourbillonnant, ponctué de deux accords piano qui concluent avec provocation cette grande
page.
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