Ce quatuor, troisième de la série dédiée au comte Razoumovski par Beethoven fut composé en
même temps que les deux autres ( 7ème et 8ème) en 1807. Réalisant une sorte de sythèse dense
et percutante des différents matériaux qu’il avait utilisés jusqu’alors dans ses quatuors, le
compositeur réussit le tour de force de mettre au point une œuvre courte mais d’une plénitude
(harmonique en particulier) entière, et dont le finale époustouflant laisse une trace certaine loin
en avant dans la mémoire de l’auditeur.
Le premier mouvement commence par une lente introduction sans tonalité déterminée. Il est à
noter que ce sera désormais le cas de tous les quatuors de Beethoven d’apparaître dans un climat
grave et recueilli. Le contraste se fait ici d’autant plus marquant avec le thème à cloche-pied du
premier violon auquel répondent seulement des interrogations de plus en plus pressantes des
autres intruments, jusqu’à l’arrivée du magnifique thème de fanfare, qui se déploie en grande
pompe, s’exacerbe jusqu’à son point culminant, atteint par de superbes mouvements contraires
du premier violon et du violoncelle. Un rapide pont amène le deuxième thème, une succession
de doubles croches passant d’un instrument à l’autre et amenant finalement à une vigoureuse
conclusion fuguée du mouvement. Le développement commence sur un nouvel énoncé
interrogatif du thème clopinant qui ramène finalement un savant entremêlement du second
thème et aboutit à un vigoureux et grave contrepoint des violons et de l’alto et du violoncelle. Il
s’exaspère… et se calme sur un trille du premier violon dont les fioritures ramènent l’exposition.
La conclusion très brève ne laisse guère de temps à la sentimentalité et l’accelerando final ne
souffre pas d’objection.
Le superbe mouvement lent est une illustration de la recherche de timbres à laquelle Beethoven
se livre en permanence. L’alternance entre les pizzicati du violoncelle et les legatos des autres
instruments en fait partie intégrante. Le début à lui seul mériterait d’être examiné à la loupe. Une
douce et triste cantilène du premier violon, tendrement contrepointée par le second violon et
l’alto, se heurte aux coups de boutoir répétés de la basse. Seul moment de détente de ce
mouvement, le petit passage sautillant en majeur, mais qui très vite replonge dans le mode
mineur. Ecrit pour les quatre instruments dans des tessitures graves, ce mouvement tragique
s’achève sur les pizzicati obstinés du violoncelle, tel un cœur s’arrêtant de battre.
La lumière qui vient du Menuetto fait alors figure de délivrance. Simples et enjouées, les
longues successions de doubles-croches de ce mouvement s’écoulent limpides vers un trio qui
au contraire, sautillant et mordant donne une touche d’amusement qui revient bien vite (en fait
dès la deuxième partie du trio) vers le lyrisme du menuet. Ce dernier est repris en entier mais au
lieu de bifurquer vers le trio il s’engage dans une extraordinaire Coda de transition. Reprenant le
thème du menuet mais en le transposant dans d’étranges tonalités, mineures pour la plupart, et en
le faisant émettre dans le grave du violoncelle, Beethoven crée un climat de mystère
insoutenable pour amener ce qui va suivre.
C’est à l’alto que revient alors l’honneur de lancer le tourbillon qui vient. Ce thème impétueux,
reprenant deux fois son souffle comme pour mieux concentrer ses forces se libère finalement de
toutes ses entraves, et fonce droit devant lui, balayant tout sur son passage, repris en fugato par
le second violon, puis le violoncelle et enfin le premier violon qui l’amène à un paroxysme où il
va rester et culminer pendant quelques mesures avant de redescendre, de remonter en suivant un
prodigieux échange des quatre instruments montant un thème sur une seule corde. Réexposition,
il redescend encore, et il remonte pour ce qui semble être la dernière fois sur un bruissement
sémillant du premier violon, alors que le second énonce un magnifique contre-chant. Le tout
s’effondre dans un point d’orgue. Et ce n’est pas fini ! Relançant la machine toujours plus haut,
toujours plus vite, tranformant quatre musiciens en huit ou douze, le joyeux fracas est porté au
sommet de son incandescence sur de bouillonnants arpèges d’ut majeur à l’unisson. Laissons
Beethoven conclure lui-même dans ce qu’il avait écrit en marge du manuscrit : “De même que tu
te jettes ici dans le tourbillon mondain, de même tu peux écrire des œuvres, en dépit de toutes les
entraves qu’impose la société. Ne garde plus le secret sur ta surdité, même dans ton art.”